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cirquealbatros
5 octobre 2012

La Presse (internet) parle de Louche / pas louche ?

Changer de trottoir ou changer de regard

La misère, la dèche, la débrouille : par ces temps de crise, on la vit tous un peu. Mais on se pense différent de ceux qui en sont arrivés à « taper la manche »… Avec « Louche, pas louche », spectacle de rue, la compagnie Albatros nous propose de revoir nos idées reçues.

 

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C’est un p’tit gars, une silhouette d’enfant, avec des grands yeux qui boufferaient bien le monde. Enfin, qui boufferaient bien tout court, d’ailleurs. L’accordéon qu’il porte en bandoulière, qui enchante et qui fend les cœurs, au fond, ce serait peut‑être un prétexte… pour taper la manche. « Pour la musique ! », lance‑t‑il à la fin de la chanson, la main tendue, et tout le monde de s’esclaffer. Car le sou que l’on file, on ne le sait que trop bien, ce n’est pas pour Yvette Horner ou Marcel Azzola, mais pour remplir un ventre vide… Arrive un deuxième larron, qui interrompt ce moment un peu embarrassant où l’on hésite à mettre la main à la poche. Fini les chichis : lui son style, c’est du direct, et il faut être sacrément accroché au bitume pour ne pas lui céder son porte‑monnaie. Car l’homme connaît son sujet, et n’a manifestement pas besoin d’avoir fait de longues études pour maîtriser sur le bout des doigts les arcanes de la psychologie sociale.

Car c’est le sujet central de Louche, pas louche : les ressorts mystérieux de la générosité ou de son absence. Nous savons tous de manière plus ou moins consciente qu’il existe des règles pour obtenir de l’autre ce que l’on souhaite. Qu’en est‑il de notre propre rapport au don ? Est‑il plus facile de donner à celui qui, pauvre mais honnête, expose avec humilité sa misère et sa bonne volonté d’en sortir ? Ou nous laisserons‑nous plus facilement soutirer de l’argent par quelqu’un de manipulateur, sans vergogne, qui connaît nos failles et en profite ? Les deux personnages emploient tour à tour diverses méthodes – apitoiement, agressivité, détournement de l’attention, charme, menace, etc. Et ils ont tôt fait de nous démontrer que notre générosité ne se manifeste pas, malheureusement, toujours à l’égard de celui qui le mérite le plus au point de vue moral, ou de celui pour qui nous devrions avoir le plus de compassion.

 

En résulte deux constats : devant la misère, nous préférons souvent fermer les yeux – sauf lorsqu’elle s’affiche spectaculairement sur nos écrans. Et nous sommes tous extrêmement perméables aux techniques de manipulation les plus abusives. Bienheureux soient les chantres du marketing et autres apôtres du business… Comme tout cela est démontré avec humour et humanité, le public accepte d’en prendre gentiment pour son grade. Car l’œuvre de la compagnie Albatros est bien loin d’un constat cynique qui limiterait tout échange humain à un pragmatisme intéressé.

 

Un univers renversant de justesse et de grâce

Olivier Burlaud, artiste de cirque formé initialement à l’École nationale du Cirque Fratellini, et Bastien Lambert, formidable musicien compositeur passé par le jazz, ont créé un univers renversant de justesse et de grâce. La question du don qui est au cœur de la pièce traverse en premier lieu les personnages eux‑mêmes. Elle prend forme à travers celle de la musicalité, qui constitue une dimension fondamentale du travail d’Olivier Burlaud et de Bastien Lambert. Rivaux de la rue à l’affût du passant, leurs échanges sont rythmés par l’orchestration musicale des pièces de monnaie. Lorsqu’ils s’affrontent dans un sublime ballet autour d’une contrebasse, quelque chose se joue qui dépasse l’idée de complémentarité formulée par La Fontaine à travers le « on a souvent besoin d’un plus petit que soi ».

Ce qui se dit serait plutôt de l’ordre de l’objet commun trouvé, ici la contrebasse, qui scelle une relation, en propose un mode, en devient la métaphore. Cette métaphore de l’amitié contenue dans l’instrument, c’est celle de la légèreté et de la gravité. La pesanteur du bois, la gravité des sons, deviennent phénomènes aériens, dociles et fragiles. La musicalité s’exerce à travers les instruments et la voix du musicien, mais également à travers les mouvements précis des corps fluides, ainsi qu’à travers les mots, les silences, les interjections, les discours et harangues. Note dominante, la contrebasse comme métaphore de la relation nous renvoie à la musique comme à un au‑delà du langage, à un espace intime et fragile, fait d’émotions, qui rend possible la rencontre de l’autre. Finalement, l’accordéon au début, ce n’était peut‑être pas qu’un prétexte. L’art, ça peut – devrait – rendre généreux. 

 

Diane Launay

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com

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